9.
Limousine.
Intérieur jour.
Intérieur de la limousine de Joe. Face au public, Arthur le chauffeur tient le volant Sur la banquette arrière, Joe jongle avec les dossiers et les téléphones.
JOE. Oui, achetez. J’ai dit « achetez ». Sans discuter. (Autre téléphone.) Non, n’achetez pas mais faites croire que j’achète. (Au chauffeur.) Plus vite, Arthur.
ARTHUR LE CHAUFFEUR. Bien, monsieur.
JOE. (Sur un autre téléphone.) Allô, oui, passez-moi Archibald. (Au chauffeur.) Plus vite.
ARTHUR LE CHAUFFEUR. La circulation est difficile, monsieur.
JOE. Je vous donne un ordre, je ne vous demande pas votre avis. (Au téléphone.) Allô, mon oncle ? Non, dérangez-le… je ne veux pas le savoir. (Sur l’autre téléphone.) Ça ne m’intéresse pas. Non, même à ce prix. Vous leur direz de ma part que je ne traite pas avec des has been. (Au chauffeur.) Accélérez, Arthur.
ARTHUR LE CHAUFFEUR. Puis-je rappeler à Monsieur que je ne m’appelle pas Arthur, mais Jérémy ?
JOE (menaçant). Vraiment ? Tous mes chauffeurs se sont toujours appelés Arthur. (Un très léger temps. Puis, d’un ton faussement détaché.) Qu’est-ce que vous faites, dans la vie, Jérémy ?
ARTHUR LE CHAUFFEUR (paniqué). Je suis votre chauffeur, monsieur, et je m’appelle Arthur.
JOE. Et ?
ARTHUR LE CHAUFFEUR (toujours paniqué). Et j’accélère.
JOE (revenant au téléphone). Allô, mon oncle ? Oui… alors, vous m’aviez promis une explication. Pourquoi n’avez-vous pas plumé mon père toute sa vie, alors que vous pouviez le faire en toute impunité ? (Sur l’autre téléphone.) O.K., transaction acceptée. (Sur l’autre combiné.) Oui, j’écoute.
Un rayon lumineux isole Archibald parlant au téléphone.
ARCHIBALD. Vois-tu, Joe, c’est à cause de ta mère… eh bien…
JOE (au chauffeur). Plus vite.
ARCHIBALD (accélérant). Voici : j’ai toujours été amoureux de ta mère. Depuis le premier jour. Malheureusement c’est ton père qu’elle a préféré et…
JOE (au chauffeur). Je vous dis d’accélérer.
ARCHIBALD. Joe… Joe… comme tu me parles…
ARTHUR LE CHAUFFEUR. Mais, monsieur, le feu est rouge, je n’ai pas le droit.
JOE. Brûlez. J’ai des dossiers sur tout le monde à la police. (À l’oncle.) Alors, amoureux de ma mère, disiez-vous ? Mais, mon cher oncle, je ne vous questionne pas sur vos embarras gastriques, je vous demande de m’expliquer votre stratégie financière.
ARCHIBALD. J’avais honte d’être amoureux de ta mère, mauvaise conscience par rapport à ton père…
JOE (au chauffeur). Filez droit !
ARCHIBALD. Et puis… et puis, flouer mon frère, c’était flouer ta mère.
ARTHUR LE CHAUFFEUR. Mais on va me retirer le permis !
JOE. Je couvre tout. Allez…
ARCHIBALD. Et voler ta mère, ça… je ne pouvais m’y résoudre.
Le chauffeur conduit de façon de plus en plus désordonnée et dangereuse.
JOE (à son oncle). Je ne comprends rien à ce que vous dites. Donnez-moi une explication sérieuse. (Au chauffeur qui vient de stopper la voiture.) Démarrez…
ARTHUR LE CHAUFFEUR. Mais…
JOE. Démarrez !
En fermant les yeux, le chauffeur démarre. On entend un cri d’enfant, le bruit d’un choc, La voiture s’arrête sur un atroce coup de freins.
JOE. Mais qu’est-ce qui vous prend ?
ARTHUR LE CHAUFFEUR. J’espère que vous avez une bonne assurance, monsieur.
JOE (exaspéré). Je dois être au conseil dans trois minutes. Qu’est-ce que vous attendez pour redémarrer ?
ARTHUR LE CHAUFFEUR. L’enfant, monsieur…
JOE. Démarrez !
LE CHAUFFEUR. L’enfant… il faut d’abord le déblayer… il est mort !
Joe se penche en avant et découvre la scène. Silence. Long silence.
ARCHIBALD. Allô… Joe… Joe… Allô ?…
Joe ne peut plus répondre. Il porte son mouchoir à son nez.
JOE. Est-ce que c’est normal que ça pue autant… si vite ?
LE CHAUFFEUR. Je vais sortir, monsieur. Pour leur dire qui vous êtes.
Il se retourne pour avoir l’approbation de Joe. Mais Joe n’est plus là. Il est sorti de la voiture pour vomir, et s’enfuit en courant…
LE CHAUFFEUR. Monsieur ?… Monsieur ?…
ARCHIBALD. Joe ?… Joe ?…
La lumière s’éteint progressivement.
Dans le noir, les voix résonnent… « Joe ? Joe ? Monsieur ? Joe ? etc. »
Désormais, en off, tout le monde appelle Golden Joe. On entend Archibald, le chauffeur, le comptable, Rosen, chacun appelle dans le vide un homme qui s’est enfui…